Lëtzebuerger Vollek Hagondange mai 2011
Hagondange – Salon de peinture – mai 2011
« Nous sommes partout et nulle part », ou
L’univers vu par Michèle Frank
Incroyable, mais vrai ! Invité au vernissage du Salon de la peinture d’Hagondange le 6 mai 2011, en principe à 18 h, mais « bienvenu » jusqu’à vingt heures à condition de ne pas avoir trop soif, j’y arrivai – bouchons frontaliers obligent – royalement vers 19,30 h. Le « nunc bibendum est » du verre de l’amitié promis par l’organisateur pressé en fin de vernissage ayant apparemment cédé à un « fuit bibito » aussi sec que passé, je me consolai en me disant que le plaisir des yeux n’exige après tout point l’humidification de la gorge.
Reconnaissons toutefois que, à peine entré dans l’immense salle des fêtes (1), j’oubliai aussi bien la route poussiéreuse que les embouteillages près de l’aire de Berchem et à une frontière où Schengen bat de l’aile, tellement je fus saisi par un spectacle unique, renversant, époustouflant, splendide, grandiose… Stop ! À force d’aligner des superlatifs, ne risqué-je pas de me couvrir de ridicule ? Quoique… Comparé aux laudationes flagorneuses que certains critiques se font payer proportionnellement au nombre de « Doktor » précédant leur nom, mon enthousiasme n’est que pâle approbation. Au moins est-il sincère. Et, en effet, l’immense tableau – en fait un polyptique de douze tableaux – que j’aperçus depuis l’entrée, ce vendredi 6 mai, suspendu au fond de la salle et l’éclairant d’une lumière digne des grandes fresques de la Renaissance, mérite encore bien d’autres superlatifs.
Michèle Frank, que je vous ai déjà présentée comme écrivain avec son livre « Ressac » en juillet 2006, mais aussi à l’occasion de ses expositions avec René Wiroth à Govillers et à Bourglinster, respectivement en juin et décembre 2007, est l’invitée d’honneur de ce salon. À part ça, elle est aussi – reconnaissons-le – la seule artiste de format international à valoriser une exposition constituée, à quelques exceptions près, de peinture du dimanche. Qu’à cela ne tienne, la magnifique composition céleste de Michèle, développée en une formidable dramaturgie de bleus entrecoupée de pâleurs nébuleuses, d’éclairs sulfureux et de clins d’oeil solaires, vaut vingt fois le déplacement depuis Luxembourg… Mais oui ; ça nous mène au-delà des mille Km, quelque part du côté de la Chapelle Sixtine.
En effet, les super bandes dessinées michelangelesques mises à part, qu’aucun peintre au monde n’égala à ce jour, le ciel sixtinien ne vaut pas celui de Michèle. Il n’y a là, notez, aucune comparaison qualitative ; ce serait ridicule. Mais le fait est, que le ciel, ou l’univers, selon Michèle, n’est pas qu’un fond, un dessous, un arrière-plan, un décor neutre, mais bien le personnage principal de cette oeuvre superbe. La peinture de Michèle est certes abstraite et d’aucuns la classent (quelle horreur que cette manie !) dans la catégorie de l’abstraction romantique, mais force est de reconnaître qu’ici, comme dans d’autres de ses tableaux, rien n’est plus parlant, plus interpellant pour l’esthète et l’amateur de beauté picturale. Cette peinture, intitulée « Nous sommes partout et nulle part » en est-elle le sommet ? Ce polyptique constitue-t-il un apogée ? Certainement pas, car Michèle est loin d’avoir dit son dernier mot ou tiré son plus beau trait de pinceau, mais il est sûr que dans l’Himalaya (ou « Hymne à la joie ») de la peinture, cette oeuvre figure en bonne place parmi les géants.
Le comble, hélas, aussi incroyable qu’absurde pour une organisation centrée autour d’un tel chef-d’oeuvre et censée le rendre accessible à un vaste public, c’est que, invité à un vernissage vendredi 6 mai, je doive vous annoncer, que l’expo ne dure que jusqu’à mercredi 11 mai. N’est-ce pas un peu se moquer du monde ? Alors, moi, qui étais prêt à pardonner à la mairie d’Hagondange mes 2 x 50 Km de route, les bouchons et l’absence de rafraîchissements pour les correspondants retardataires, je ne peux pas les excuser pour leur dérisoire calendrier. En effet, me voilà obligé de reculer d’autres articles et de bousculer la rédaction de la Zeitung, pacha en tête, dans l’espoir que vous soyez informés au moins à temps pour la dernière journée de cette expo à la chronologie coincée. Voilà, c’est tout ce que j’avais à dire avant de vous citer quelques mots extraits du discours de Michèle Frank à l’occasion de ce vernissage, mots qui illustrent tellement bien ce qui anime un artiste et, surtout, ce qui l’anime, elle :
« … pourquoi ce désir de peindre, de sculpter, d’écrire, activités qui s’opèrent en solitaire, contrairement à la musique qui souvent se pratique en groupe, au théâtre ou au sport qui nous rapprochent des autres, permettent un contact stimulant, à un moment où de plus en plus nous vivons en vase clos devant notre ordinateur ou notre poste de télévision, atterrés par l’inhumanité et l’indifférence qui se sont installés dans ce monde. D’où vient ce besoin de réaliser, tout seul (…) une œuvre qui jaillit d’on ne sait où. Je parle de cette chose en nous qui guide notre main sur la toile ou sur le papier, de cette chose qui fait jaillir de la terre ou de la pierre ce qu’on appellera une sculpture, de cette chose qui nous fera aligner des mots pour raconter une histoire ou exprimer des idées. L’inspiration (…) si difficile à identifier, que l’on reste soi-même ébahi devant ce qui est sorti de cet inconnu en nous, cette pulsion qui fait que nous avons l’impression d’imploser si nous ne lui obéissons pas par le passage à l’acte.
Il faut imaginer que nous avons quelque chose à partager avec les autres, et qu’ils voudront bien nous entendre (…) Un leurre, bien sûr, mais seule cette illusion nous donne le désir de nous approprier la parole, de réduire l’espace qui nous sépare de l’autre, du vrai, du beau, de ce que nous souhaiterions être et qui nous est finalement interdit. Mais il y a aussi ce plaisir de faire quelque chose de nos mains, (…) d’aller vers le beau, parfois maladroitement, de communiquer, si peu que nous ayons à dire (.. .) Sachant que le doute sur la qualité de notre travail est là, sans arrêt, à nous tarauder, notre regard sur lui tantôt complaisant, tantôt destructeur, et ce découragement qui parfois nous saisit et fait naître le désir de tout envoyer valser, pinceaux, couteaux, couleurs et tout le reste pour ce qu’on appelle se laisser vivre… »
Salle des fêtes, Rue Henri Hofmann, Hagondange – expo ouverte de 9,3o à 12 h et de 14 à 18,30 h jusqu’à mercredi 11 mai
Giulio-Enrico Pisani
mardi 10 mai 2011
Lëtzebuerger Vollek Hagondange mai 2011