Villers Bettn’art 2007
« Ce qui singularise l’art, écrit Guy Scarpetta dans son livre L’Artifice, ce pourrait être sa capacité à susciter, simultanément, un effet de jouissance et un effet de vérité – même si cette vérité résulte de la fiction, de l’artifice ; à impliquer, selon le mot de Kundera, l’ « exploration » de territoires nouveaux, d’aspects insoupçonnés de l’existence, auxquels il donne seul accès. »
Jamais les musées n’ont été autant fréquentés, jamais on n’a parlé autant d’interculturalité. Le « ici et maintenant » n’est plus à l’ordre du jour. Le brassage des civilisations implique la connaissance de ce qui fait l’identité des peuples : leur culture et leur imaginaire. L’acharnement des régimes totalitaires à les détruire, et l’échec à long terme de cette ambition contre nature, témoignent amplement de leur valeur essentielle. Plus la répression est violente, plus grande est l’aspiration à cet acte de liberté qu’est la création, plus grand est le désir aussi de ceux qui n’y participent qu’en tant que spectateurs, lecteurs, auditeurs, de se familiariser avec ses manifestations.
Nous vivons dans un monde anxiogène, où la peur de l’avenir matériel, de la maladie, de l’inconnu et de l’étranger est exacerbée par les médias, où la jouissance n’a plus sa place dans le quotidien. Seuls les voyages organisés, où, parqués dans des ghettos pour touristes, nous croyons nous dépayser dans l’illusion de la découverte d’un ailleurs, dont les photos alimenteront nos rêves et nos souvenirs, semblent nous concéder quelque échappatoire. Nous sommes tellement emprisonnés dans notre quotidien, sans cesse menacés par les catastrophes dont nous abreuve notre écran de télévision, qu’il n’y a plus de place pour le rêve, pour une autre réalité que celle qui nous dévore au fil du temps. C’est cette autre réalité que nous ouvre le monde de l’art. C’est cette réalité-là que semble chercher la foule qui ne rechigne pas à faire des heures de queue aux portes des musées. C’est cette réalité-là qui réconcilie les artistes devant une toile ou une page blanche avec la vie et leur permet de s’ouvrir à l’autre qui se donnera la peine d’entrer dans son univers.
Il faut une grande part de narcissisme pour créer, mais de courage aussi, pour se dévoiler au regard de cet autre qui a le droit de jauger, de juger, de refuser cette part de vous-même, si subjective, si intime, si désespérée parfois. Mais plus fort encore est le désir de communication et de partage.
Espérons que ce miracle se fera dans ce lieu où la magie peut opérer, grâce à l’enthousiasme et à l’énergie que consacre toute l’équipe de Bettn’art à lui redonner une âme.
Lorsqu’on me demande : « Que peignez-vous ? » Je réponds : « Du rêve et du vent » et j’ajoute pour donner un semblant de sérieux à ma réponse : » Des morceaux d’espace comme pris en grand angle. » Mais en fait, c’est cela que je peins à grand coups de couteau et de chiffon. Des branches qui s’entrelacent, des fourrés, où l’on peut se cacher et se perdre. Du flou, parfois, où tout s’efface comme balayé par le vent, pour échapper à la grisaille.Je pense au vent, parce que je pense souvent que ma peinture n’a pas de poids, mais aussi parce que le vent vous emporte là où il veut et que vous n’êtes pas responsable.
Je me promène dans des paysages intérieurs qui, eux, ne me semblent pas balisés et se déroulent en grand angle au fil du trait, au fil du rêve, et m’emmènent là où je veux aller. En plaquant mes peurs et mes émotions dans espace vierge, je crée une sorte de surréalité à ma convenance, dont les couleurs donnent la tonalité à mes monologues
oniriques. Dans l’espoir, bien sûr, qu’ils trouveront un écho. C’est aussi la démarche de l’écriture, aventure solitaire et introspective, qui n’est rien d’autre qu’un appel au dialogue, comme lorsqu’on se livre à un ami pour le mettre en confiance et l’inciter à se raconter, avides que nous sommes de l’expérience des autres pour nous sentir moins seuls dans ce monde si individualisé, que l’autre peut mourir dans l’appartement voisin sans qu’on s’en soit aperçu.
J’aurais préféré peindre autre chose, Guernica par exemple, qui dénonce l’insoutenable. Mais j’ai trop peur de ne pas savoir dire. La violence me fait peur et je préfère n’être qu’une coloriste donnant à voir à chacun ce qu’il souhaite, ébauchant des personnages, des animaux qui ne sont pas visibles au premier coup d’œil mais qu’on découvre quand le regard s’attarde.
Peut-être aurez-vous envie de m’accompagner dans cet ailleurs.
Michèle Frank
Télécharger le catalogue de l’exposition Villers-Bettnach-2007