Le degré zéro de l’être humain
La pauvreté
Je vous remercie d’avoir répondu à mon désir de recevoir ici cette médaille que vous me faites l’honneur de me décerner. Je remercie également les amis qui me soutiennent par leur présence. Pourquoi avoir choisi cet endroit peu commun pour une telle cérémonie, cet endroit oÙ on parle de chose tristes, voire choquantes, où l’on ne parle pas de mérites ? Parce qu’on y parle le langage du cœur.
On ne parle pas ici de déceptions, de défaites, on ne parle pas du dévouement de mains qui ont offert leur aide, qui se sont battues pour les plus démunis, qui sont restées sur le champ et qu’on a oubliées. Ici on ne parle pas de réussite mais d’une nécessité toujours présente depuis des millénaires. On ne parle pas de tous les bras levés dans la détresse avant d’être emportés dans le tourbillon des nuits éternelles. On ne parle pas de l’injustice humaine et de la violence exercée contre ses semblables. On ne parle pas ici de liberté, d’égalité, et de fraternité. Ici on ne croit pas aux grands mots. Ici c’est le monde, le QUART MONDE. Ici on se tait. Ici le calme est plus grand que dans une église. La misère et le drame sont à nos pieds.
On ne parle pas non plus ici des bras énormes qui soutiennent chaque jour, à chaque instant ceux qui n’ont plus d’espoir. Sont-ils des utopistes, des masochistes ceux qui aident leurs frères, leurs enfants à survivre? Ici on ne parle pas de psychisme ni de tous les autres ismes. Ici les messages du perfectionnement dans la souffrance de l’accomplissement de soi dans le travail amer n’ont pas cours. Ici on agit pour la reconnaissance, le respect de ceux qu’on appelle les parias de notre société depuis des millénaires.
Le QUART MONDE n’est pas un endroit où l’on se rend comme le dimanche à la grand-messe. Il faut du courage et avoir été soi même confronté à la souffrance pour oser pénétrer dans l’arène des condamnés. La pauvreté inspire la peur, la culpabilité, un sentiment d’impuissance, C’est pourquoi certains disent qu’elle n’existe pas. D’autres avouent qu’elle existe et se réjouissent de n’en être pas touchés . Quelques-uns ont mal de la misère du voisin et font ce qu’ils peuvent pour la soulager et bannir ce fléau qui poursuit l’espèce humaine dans son profond combat pour la vie. Il est superflu de remarquer que notre société fait de nous des vautours, des vampires et des monstres créent par la peur, l’impuissance personnelle dans la communauté humaine, le dégoût que fait naître l’insatisfaction. Somme toute la violence est devenue l’idole héroïque de notre société.
Dans la non-acceptation qui tend fortement vers l’intolérance du phénomène de la pauvreté dans les villes, la grande masse frôle les pratiques de la dictature et du fascisme. Celui qui ose travailler pour les pauvres risque d’être mal vu par les pauvres eux-mêmes et par les politiciens parce qu’il n’entre plus dans le contexte économique. Les gouvernements ne peuvent pas forcer les pauvres à ne plus l’être, ni les aider. Il faut qu’ils s’aident eux-mêmes. Mais pour réaliser cette ultime construction et peut être la plus importante, il faut que la société tende des perches sures et solides afin que les pauvres puissent oser rejoindre la communauté humaine dite civilisée. Mais cette communauté lui interdira de la rejoindre tant qu’elle ne sera pas informée d’une manière réaliste tant qu‚elle ne sera pas abattue les préjugés, qui constituent un mur infranchissable entre ces deux mondes. Il faut trouver un moyen de communication entre eux. La création peut être la perche pour franchir le mur de l’incommunicabilité. Seul le travail des mains rend possible l’épanouissement de soi-même. Les courants sont passés et passeront entre les êtres et par les mains. L’espoir que les pauvres puissent réaliser le dôme de leur identité est « âpre et difficile. II n’est jamais couronné de succès. La pauvreté est le degré zéro de l’humain.
Pour bien cultiver il faut bien semer.
Et c’est à zéro qu’il faut commencer à semer si nous voulons une Europe saine à tous les degrés. Je tiens à remercier en tant qu’artiste les personnes qui s’efforcent ici dans ces locaux du QUART MONDE d’encourager et d’apprendre aux personnes qui jamais ne se sont exprimées, à extérioriser leurs peurs, leurs angoisses, leurs désirs. Je souhaite qu’on les aide à créer un centre culturel monument et signe démonstratif que la pauvreté existe encore et qu’il est urgent de l’abolir. Ce présumé centre au nom bizarre que les gens utilisent généralement pour parler de beauté, de leur beauté, s’adressant exclusivement aux becs pointus, dits les becs – fins, mais jamais à la pauvreté, « comme si les pauvres ne savaient pas ce que sont la beauté et l’amour.
Discours prononcé par René Wiroth au siège de ATD QUART MONDE lors de la remise de la médaille du Mérite Européen le 22 février 1990